Fifa: sept responsables soupçonnés de corruption arrêtés en Suisse
mercredi 27 mai 2015
Le président de la Fifa, Joseph Blatter, à Panama City
Le président de la Fifa, Joseph Blatter, lors d'une conférence de presse le 18 avril 2013, à Panama City
La Fifa a été frappée mercredi par un double séisme avec l'arrestation de sept responsables soupçonnés de corruption et par la perquisition de son siège à Zurich, dans une affaire distincte portant sur l'attribution des Mondiaux 2018 et 2022.
Pourtant, l'élection présidentielle lors de laquelle Joseph Blatter, âgé de 79 ans, briguera un cinquième mandat reste prévue vendredi.
. Arrestations à l'hôtel
Vers six heures du matin, des policiers suisses en civil opérant à la demande des autorités américaines se sont présentés au luxueux hôtel cinq étoiles Baur Au Lac du centre de Zurich, où sont logés les principaux dirigeants de la Fifa avant le congrès prévu jeudi et l'élection de vendredi.

L'hôtel Baur Au Lac de Zurich le 27 mai 2015, où les arrestations des dirigeants de la Fifa se sont déroulées
Ils en sont repartis après avoir interpellé sept responsables de la Fifa, soupçonnés d'avoir accepté des dessous de table d'un montant total de plusieurs dizaines de millions de dollars des années 1990 à nos jours. Les suspects interpellés ont été placés en détention font l'objet d'une demande d'extradition américaine.
Selon le New York Times, qui a révélé ces arrestations, les accusations visent des faits de corruption portant notamment sur des attributions de Coupes du monde, de droits de marketing et de télévision. Les accusations visent également des escroqueries par voie électronique, des faits de racket et de blanchiment d'argent.
Le Département de la Justice américain a indiqué avoir au total inculpé pour corruption neuf élus de la Fifa, ainsi que cinq responsables de sociétés de marketing sportif.
Parmi les dirigeants présents ou passés de la Fifa visés par les accusations figurent Jeffrey Webb (Iles Caïman), Eugenio Figueredo (Uruguay), tous deux membres du comité exécutif, et Jack Warner (Trinité-et-Tobago), un ancien membre du comité exécutif, déjà impliqué dans de nombreuses affaires de corruption.
Par ailleurs, le siège de la Confédération d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf), situé à Miami, a été perquisitionné dans le cadre de cette procédure, a précisé le Département de la Justice.
. Perquisition à la Fifa
Dans une procédure distincte, le parquet suisse a annoncé avoir saisi des documents électroniques au siège de la Fifa à Zurich. Ces saisies ont eu lieu dans le cadre d'une procédure pénale contre X pour soupçon "de blanchiment d'argent et gestion déloyale" entourant les attributions des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. Cette procédure, ouverte depuis le 10 mars, n'avait pas été rendue publique jusqu'à mercredi.

Le directeur de la communication de la Fifa, Walter De Gregorio, en conférence de presse à Zurich, le 27 mai 2015
Selon Walter De Gregorio, le directeur de la communication de la Fifa, envoyé au front pour une conférence de presse en fin de matinée, cette perquisition est liée à la plainte déposée le 18 novembre par la Fifa pour des soupçons de "transferts internationaux de patrimoine".
"Ce n'est pas un jour agréable, mais c'est aussi un bon jour, car les choses avancent et nous avons hâte d'avoir des réponses", a affirmé M. De Gregorio, qui a assuré que la Fifa coopérait "pleinement" avec les autorités suisses et américaines.
"La Fifa est la victime. Nous coopérons, nous donnons toutes les informations demandées. Il est de notre intérêt que toutes les questions posées trouvent des réponses", a-t-il dit.
"C'est bien pour la Fifa. Pas en terme d'image, mais en ce qui concerne le ménage que nous avons entrepris ces dernières années", a-t-il insisté.
. Pour vendredi, Blatter ne change rien
La Fifa tremble donc, mais pas question pour l'instant de remettre en cause le scrutin présidentiel prévu vendredi. Walter De Gregorio l'a martelé: le président Blatter et son secrétaire général Jérôme Valcke "ne sont pas impliqués" dans cette affaire.
La Fifa en chiffres
"M. Blatter est concentré sur le congrès et il reste relativement détendu", a dit M. De Gregorio. "Ca ne veut pas dire pour autant qu'il danse dans son bureau. Mais il est très calme, il voit ce qui se passe, il coopère avec tout le monde. Il n'est pas un homme heureux aujourd'hui", a ajouté le porte-parole.
Vendredi, "Sepp" Blatter briguera un cinquième mandat à la tête de la richissime et surpuissante Fifa, secouée depuis le début de son règne en 1998 par une série de scandales et d'accusations de corruption, notamment liés à l'attribution des Mondiaux 2018 et 2022.
Michel Platini, président de l'UEFA, qui devait tenir une réunion extraordinaire de son Comité exécutif à Varsovie mercredi après-midi, a renoncé l'année dernière à se présenter face à lui. La semaine dernière, l'ancien Ballon d'Or portugais Luis Figo et le président de la Fédération néerlandaise Michael van Praag ont eux aussi abandonné.
Blatter n'a plus face à lui qu'un seul rival, aux chances minimes, le Prince jordanien Ali bin Hussein. Dans un communiqué, celui-ci a évoqué "un jour triste pour le football".
© 2015 AFP
Sepp Blatter, c'est le "dictateur qui a le mieux réussi sans avoir de sang sur les mains" pour le journal britannique The Guardian. A la tête de la Fifa depuis 1998, il se présentera vendredi 29 mai à la présidence de la Fédération internationale de football (sauf imprévu). Et peu importe le vaste coup de filet de la justice américaine – 14 arrestations dans les cercles proches du pouvoir – et l'enquête de la justice suisse sur les conditions d'attribution des Mondiaux 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Car le dirigeant suisse, âgé de 79 ans, est un fin politicien qui en a vu d'autres.
De solides alliés tu te ménageras
Qui a dit : "Sepp Blatter est un homme charmant. Il connaît le nom de chaque président de fédération, et le nom de sa femme avec" ? Michael Van Praag, un des opposants à Blatter un temps candidat à la présidence, cité par le Financial Times (en anglais). Lors d'une visite en République dominicaine, le président de la fédération locale l'a comparé à Jésus-Christ, à Nelson Mandela et à Winston Churchill. "En quoi est-il différent de ces gens-là ?" s'est interrogé Osiris Guzman... suspendu un mois de ses fonctions par Blatter en 2011 pour achat de vote, raconte Bloomberg. Sincérité ? Basse flagornerie ? Un peu des deux ?
Sepp Blatter a depuis longtemps compris que le centre de gravité du football ne se situe plus en Europe. Surtout dans un système électoral où la voix des Iles Caïmans pèse autant que celle du Brésil. D'où de fréquents déplacements dans le monde (la Fifa compte plus de membres que l'ONU) et l'octroi généreux de subventions pour installer des terrains de foot dans les lieux les plus reculés du globe.
Les mains dans le cambouis tu ne mettras pas
Malgré la liste impressionnante de casseroles que la Fifa traîne depuis sa présidence, Sepp Blatter n'est personnellement impliqué que dans une poignée d'entre elles. En 2014, il répond à une journaliste du Washington Post : "Vous parlez de corruption ? Montrez-moi les preuves !"
Et, malgré un faisceau de présomptions accablant, les preuves manquent. Prenez son élection controversée, en 1998. Farah Addo, vice-président de la confédération africaine de football, explique à CNN qu'il a vu les dirigeants africains faire la queue pour récupérer une enveloppe de 5 000 dollars dans les couloirs de l'hôtel Méridien Montparnasse de Paris (5 000 de plus une fois Blatter élu). "Mais je ne peux pas affirmer que Blatter ou ses proches collaborateurs étaient impliqués."
Quatre ans plus tard, Blatter enrôle un ancien arbitre, Lucien Bouchardeau, pour 25 000 dollars. Son but : déterrer des informations compromettantes sur Addo. Blatter ne nie pas le paiement, mais le but : "A cause d'Addo, Bouchardeau était dehors, dans le froid, en Afrique. Il m'a dit, avec des larmes dans la voix, qu'il n'était qu'un pauvre diable et qu'il n'avait plus rien. Donc je lui ai donné 25 000 dollars de ma poche. Je suis vraiment trop bon !" se gargarise Sepp Blatter, cité par Slate (en anglais). Et quand un livre sur l'élection – How They Stole the Game – sort en 1999, il balaie : "Je ne peux pas vraiment ouvrir d'enquête sur moi-même. Et puis, les élections sont terminées."
Difficile de prouver un quelconque enrichissement personnel illicite. Lors de l'affaire ISL – la société qui gérait les droits marketing de la Fifa – plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin ont été découverts, sans aucun centime à Blatter, note Sporting Intelligence (en anglais). "Je considère que Blatter est un homme très intelligent, qui sait ce qu'il doit faire pour rester au pouvoir. Je ne pense pas qu'il ait touché de l'argent personnellement", commente le député suisse Roland Büchel, farouche adversaire de Blatter, sur ESPN. L'affaire s'est soldée discrètement devant la justice suisse.
Des symboles tu te soucieras
Une des premières décisions de Sepp Blatter a été de rénover le siège de la Fifa, pour la somme rondelette de 250 millions de dollars. Signe particulier du bâtiment : il est transparent, l'image que Sepp Blatter veut donner de la Fifa. La réalité est tout autre. Le président de la Fifa – dont les revenus sont tenus secrets, mais estimés à un million de dollars annuels hors bonus – s'attache à donner une image modeste : il fréquente toujours sa boulangerie habituelle à Zurich, où a été créé spécialement pour lui le "Fifabröt", un pain en forme de ballon de foot, relève ESPN. Quand il est en déplacement, en revanche, le standing change : lors du Mondial 2006, il logeait dans des suites à 20 000 euros la nuit.
Et, histoire d'entretenir son côté glamour, il ne refuse pas un petit pas de danse avec la mannequin Fernanda Lima lors du tirage au sort du Mondial 2014...
... et n'hésite pas à imiter Cristiano Ronaldo lors d'une conférence à Oxford.
A la Fifa les enquêtes gênantes tu confieras
La grande spécialité de Sepp Blatter est de nier toute corruption au sein de la Fifa, et de diligenter aussitôt une enquête interne. Peu avant l'élection de 2011, pour laquelle il est candidat, il sort le grand numéro aux journalistes : "Arrêtez de dire que la Fifa est corrompue ! Elle ne l'est pas !" Trois jours plus tard, il demande une enquête interne pour prouver que son challenger, le Qatari Mohamed Bin Hammam a acheté des voix de délégués caribéens 40 000 dollars pièce, relève Grantland (en anglais).
La Fifa s'est ainsi vu confier des dossiers explosifs... sur la Fifa. L'enquête sur les accusations du numéro 2 de la Fifa, Michel Zen-Ruffinen : 500 millions de dollars se sont évaporés en pots-de-vin en 2002. Résultat : le corbeau a été viré, l'enquête n'a pas abouti, et Blatter a claironné qu'il était blanchi. Autre exemple : l'enquête sur l'attribution critiquable du Mondial 2022 au Qatar : le rapport de l'enquêteur spécial Michael Garcia a été caviardé par la Fifa au moment de la publication, et son auteur a été muselé par une clause de confidentialité.
Faire des enquêtes en interne, Blatter sait faire. La dernière fois que les comptes de la Fifa ont été audités par une société de conseil, c'était en 2002. Son choix s'était porté sur la firme McKinsey, représentée par Philippe Blatter, son neveu, révèle le journaliste Andrew Jennings dans Foul ! The Secret World of Fifa.
Aux changements législatifs, attentif tu demeureras
La Fifa a été fondée à Paris en 1904, mais a émigré pour des raisons fiscales en Suisse dès 1932. Ce n'est pas tout à fait ce qui est écrit sur le site de la Fifa : "La Suisse est un pays central en Europe, elle est neutre, ce qui correspond parfaitement à la philosophie de la Fifa, et elle est parfaitement desservie par le train." Le droit suisse n'est pas contraignant pour l'institution. Elle demeure une association à but non-lucratif, avec les mêmes statuts que le club de bridge local, à la différence près qu'elle brasse un milliard d'euros les années de Coupe du monde.
Autre avantage : la loi suisse s'est longtemps montrée complaisante. Il a fallu attendre 2014 pour que le parlement vote la "Lex Fifa", une loi qui introduit la corruption privée dans le code pénal, et la possibilité de la poursuivre en justice. Avec le risque que la fédération déménage, comme l'a fait son homologue de badminton de Londres à Kuala Lumpur.
Moralité : il est beaucoup trop tôt pour enterrer le vieux Sepp Blatter. Confidence de Bruno Affentranger, auteur de la biographie Sepp – König der Fussballwelt, à Swissinfo : "S'il a appris une chose à l'armée, c'est de rester sur ses gardes 24 heures sur 24;